1% artistique
-A +A

Les Grands Moulins à la lueur de l’Allumouette

Visibles sur la façade du bâtiment des Grands Moulins, ces lueurs rouges, orange et blanches sont une œuvre nocturne réalisée en 2006 par Yann Kersalé pour l’université. Le plasticien lumière tente de donner un éclairage nouveau à l'esplanade.

Une lumière nocturne sur le campus

L’Allumouette est une série d’éléments lumineux s’allumant le soir, disposés sur les corniches du bâtiment des Grands Moulins. Le soir, elle baigne de sa lumière l’esplanade Pierre Vidal Naquet d’une couleur alternant régulièrement, du rouge à l’orange, avant de revenir au blanc (leur couleur initiale). Le titre de l’œuvre est d’inspiration autobiographique (plus qu’il ne renvoie à l’œuvre elle-même) puisque Yann Kersalé est né d’une famille de marins bretons.

C’est aussi un dispositif anti-pigeon, plutôt efficace grâce aux changements de lumière. Proche de l’art contemporain, il s’agit d’emmêler pratique et esthétique et de faire « voir autrement les choses que l’on ne regarde pas. C’est important et c'est à cela que sert l'art », selon Christiane Fortassin, responsable du Service Culture.

« La nuit laisse libre cours à la redécouverte de ces formes constituées et ce terrain d’investigation est imaginairement précieux. Toute ma quête artistique est histoire de recherche, d’un état à un autre » Yann Kersalé.

Un nouveau regard sur les lieux ...

Diplômé des Beaux-Arts de Quimper, Yann Kersalé est un plasticien français. Il met en lumière plusieurs spectacles, avant de se tourner vers l'architecture. Il créé son atelier, à Vincennes en 1983 et obtient le grade de chevalier par l’Ordre des Arts et des Lettres : il devient un précurseur dans son domaine.

Ses parcours lumineux  invitent à la rêverie en conférant une tonalité nouvelle, un goût d’émerveillement à chaque lieu. L’artiste transforme et s’approprie de nombreux monuments classiques de notre patrimoine, ou de notre quotidien tels que la verrière du Grand Palais, la Grand Place de Bruxelles, les Docks-Cité de la Mode et du Design, la Place de la République, le tramway à Nice, le Vieux Port de Marseille et l'Opéra de Lyon… A l’étranger : la tour Agbar de Barcelone, la Sparkasse en Allemagne, la Passerelle de la Paix à Séoul, et même, la banquise en Arctique ! Découvrez ou redécouvrez ces oeuvres et ces lieux sous une lumière nouvelle sur le site de Yann Kersalé

Convergence est également l’un des dispositifs phares de l’artiste. Situé sur la Grand Place de Bruxelles et réalisé à l’occasion de la première saison européenne culturelle en 2008, c’est une prouesse technique. Le mode d’appui est totalement inédit : c’est un plafond de lumière qui n’est pas accroché aux façades, classées au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.

Pour Deleuze, l’artiste « créé des perceptes » de la même manière que le philosophe élabore des concepts. Or, la nuit est le lieu idéal pour l’envol et le développement des perceptions. Pour Yann Kersalé, c’est le lieu d’élection du sensible comme terrain d’expérimentation. Ces œuvres apportent alors une nouvelle vision éclairée sur la ville, grâce à des éléments (sociologiques, historiques, géographiques ou architecturaux) spécifiques, qui inspirent une base thématique et narrative au plasticien.

« Les œuvres se mettent en mouvement aux différents moments de gestation de ce lieu » Yann Kersalé.

... Pour leur « insuffler un peu de poésie »

Ce sont donc des fictions lumineuses, des parcours géo-poétiques en milieux urbains, plus encore que des œuvres. D’ailleurs, l’artiste déclare que son ambition première reste « d’insuffler un peu de poésie » au lieu. Ceci se voit dans la méthode de son équipe pluridisciplinaire, le studio SNAIK : tout commence par l’élaboration d’un synopsis, annonçant titre, intentions, schémas, croquis, photographies, données et leur interprétation contextuelle. 

Ces installations jouent aussi fréquemment avec les rythmes concernant l’apparition des lumières. D’autres varient au gré des marées, du cycle de la Lune, s’alimentent de la lumière solaire, ou jouent avec les complémentaires. Tant d’éléments marquant une volonté d’ancrage et de valorisation des alentours. Les installations peuvent être pérennes ou éphémères, juxtaposées ou intégrées au bâtiment.  D'ailleurs, la « connivence » avec les architectes et les acteurs de la ville est appréciée par l’artiste comme il en témoigne ainsi : « finalement, je travaille beaucoup sur le relationnel avec les architectes et, toujours sur la notion qui tente de créer une œuvre plastique dans la leur ». En effet, depuis de nombreuses années, Yann Kersalé préfère se rapprocher des architectes pour créer ses œuvres, plutôt que des galeries d'art.

« Ainsi le résultat plastique est un hasard combiné entre mes volontés et celles du génie qui anime le lieu. » Yann Kersalé

L’œuvre préférée des étudiants, mais pas que !

L’Allumouette occupe une place centrale sur le campus et revalorise l’ancien bâtiment industriel en lui donnant de la « visibilité », d’après Mathilde, Julien, Nathan et Olivia, étudiants en licence d’Histoire. Les jeux de lumière sont la force de cette œuvre : c’est ce qui plait aux étudiants. En témoignent Andy et Bastien, étudiants en doctorat d’études anglophones et en master de Physique, pour qui, « c’est trop joli le soir, cela rend le lieu de vie plus agréable ».

Rayan et Vannak, étudiants en licence de physique, ajoutent pour leur part : « cette œuvre attise la curiosité, on a envie de savoir, de comprendre ce que l’artiste a voulu faire ! Cette lumière invite à l’inspiration. » En cette période estivale, Christiane Fortassin attise notre curiosité en nous faisant part de son émerveillement pour d'autres installations de l’artiste, comme la gare de Lille-Flandres ou du Pic du Midi : « Si vous ne savez pas où aller cet été, ça vaut vraiment le détour !»

« Je veux me donner la possibilité d’investir des formes, des objets et des paysages, du crépuscule à l’aube, toile de fond d’un nouveau travail plastique. La nuit est une «matière noire» dans laquelle je repère un paysage urbain ou naturel dans toutes ses formes et figures, avec ses variations multiples d’activités humaines ou ses absences, ces pouls qui s’accélèrent puis qui se calment jusqu’à tourner au ralenti ou stopper... Ses extravagances, ses potentiels, ses silences. Je ne fais pas le noir, je m’approprie ce qui existe et utilise la nuit comme complice de mes larcins nyctalopes. Je sculpte plus en creux. Je suis poseur de ces tempos et de ces rythmes. » Yann Kersalé